Airspace, quand le beau devient algorithme
Force est de constater que les espaces s’uniformisent. C’est arrivé discrètement, comme une maladie asymptomatique. Chacun a aujourd’hui accès à des contenus riches et variés, provenant de toute part et de toute culture. Il est devenu facile de se nourrir d’influences diverses. Pour autant, l’uniformisation interroge la créativité de chacun.
Comment se fait-il que les contenus postés d’un bout à l’autre de la planète correspondent aux mêmes envies, aux mêmes offres des magasins locaux ? Les singularités personnelles se sont-elles perdues quelque part entre la mondialisation, une boutique suédoise et les réseaux sociaux ?
Le même café à Paris ou à Cape Town, la même boutique qui vend les mêmes bougies, les mêmes vêtements ou les mêmes meubles d’un bout à l’autre de la planète. Le voyage ne rime plus avec découverte et dépaysement. L’esprit cherche à se rassurer avec des repères. Les itinéraires et les destinations font maintenant l’objet de validation par les réseaux sociaux.
Grâce à Kyle Chayka, ce phénomène a désormais un nom : « AirSpace ».
Titiou Lecoq l’analyse ainsi : « un espace universel qui se retrouve partout et donc nulle part et que des services comme Airbnb ou Instagram ont largement contribué à forger en le propageant. [...] [Citons] le récent slogan d’une campagne de communication de Airbnb « être partout chez vous », une formule qui n’est clairement pas tirée d’un livre de Nicolas Bouvier. La finalité du voyage à l’étranger n’a jamais été de se retrouver chez soi.”
L’éditorialiste va plus loin :
“ En réalité, quand on est dans “l’AirSpace”, on n’est pas chez soi. On ne sait plus où on est, alors qu’inscrire un lieu dans une géographie fait partie de l’expérience humaine du réel. “L’AirSpace” est un labyrinthe de miroirs dans lequel l’esprit ne peut plus se repérer. Et cette déréalisation ne touche pas seulement l’inconnu mais également nos territoires coutumiers. »
En effet, les intérieurs sont empreints de cette déréalisation. Les achats et donc les foyers ne correspondent plus à l’expression d’un goût personnel mais à l’accès à des modèles abordables et standardisés.
Ce qui se voit le plus et qui fait le plus grand nombre de “likes” rassure et plaît. L’intérieur n’est plus seulement un cocon ouvert à quelques intimes mais il est aussi photographié, publié, commenté et liké. Les “home tour” révèlent ce nouveau rôle. Alors comment faire pour se retrouver chez soi ?
Les intérieurs s’uniformisent en quête de validation réciproque.
Le travail et la créativité des architectes et architectes d’intérieur sont-ils menacés par cette couleur vue des centaines de fois ? L’accès à d’autres cultures et à d’autres intérieurs n’est-il pas toujours une source d’inspiration ?
Un intérieur s’inscrit dans un territoire, auquel correspond une géographie et un climat. Il s’inscrit également dans une culture alimentée par un artisanat, par l’histoire collective et individuelle. Un intérieur s’adapte aux évolutions du foyer, des personnalités et des intimités.
La différenciation devient alors évidente : l’habitat doit nécessairement être adapté aux spécificités de ses habitants, de leurs habitudes, de leurs besoins, et du lieu dans lequel il s’inscrit. L’habitat n’est alors plus une réponse à des diktats uniformisés mais est entièrement pensé et conçu pour son habitant.
La libération survient lorsqu’il part à la découverte de son propre goût, balade son œil sur de nouvelles formes, couleurs, harmonies et sort des algorithmes et des kits prêt-à-poser.
Le travail de l’architecte et de l’architecte d’intérieur est alors de l’aider dans cette quête pour chercher ce qu’il n’a encore jamais vu et créer la joie d’être bien chez soi.
Et vous, que pensez-vous de l’Airspace ?
Votre créativité se sent-elle menacée ?
En avez-vous peur ?
Êtes-vous soulagé·e qu’il y existe un mot pour décrire ce phénomène que vous constatez tous les jours ?
Mesetys prépare en ce moment un dossier sur l’inspiration autonome, faites nous part de vos méthodes à l’adresse [email protected].
Sources
“Welcome to AirSpace”, Kyle Chayka, The Verge, Welcome to AirSpace | The Verge
Libérées, Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, Titiou Lecoq, Fayard, 2017
Photo par Thanos Pal sur Unsplash